lundi 30 juillet 2012

Ivar Ch'Vavar, TITRE, édition des Vanneaux

(Acarus Sarcopte)


Comment faire que l'Histoire reparte
                           de cette plage? Comme vous, je la vois.
                                                     Incontestablement, elle est là,
et c'est notre espace alors c'est
                                  notre temps. Notre contemporanéité
                                                        absolue au niveau de nos
culs posés là. Là nous tenons
                       nos assises. Nous sommes adéquats
                                          à la situation par nos fesses déjà,
camarades. Je le sais. Mais il faudra
                                     bien les bouger. Pas question
                                     de se complaire dans la contemplation. 
Et plus souvent vous devriez
                            venir à Boulogne, voir ce que c'est
                                                           qu'une cité industrielle, et
un grand port: travail, circulation,
                           jour et nuit, sans arrêt. L'économie
                                                                   maîtresse de tout, trains et camions,
les bateaux qui rentrent, qui sortent. Ca       
                                           n'arrête pas de se croiser; klaxons
                                                                                       sirènes, cornes de brume...
Mille lumières dans la nuit, et le ciel
                          rouge, embrasé du feu des industries.
                                                                              Toute cette furie, oui,
et les gens qui partent au turbin
                   ou qui en reviennent, hagards, harassés,
                   les ouvriers, le prolétariat urbain,
hommes, femmes...Nos frères,
                                nos camarades - non, oh! vous ne les 
                                connaissez pas assez. venez voir leurs yeux,
venez croiser leurs regards, venez
                       vous mesurer à leur regard, mes petits
                                                                       amis, mes tout petits
amis. Ils sont grands. Ils vous écra
                                     seraient sur  leur manche comme une
                                                           crotte de nez. Et leurs yeux!
c'est du feu! mettraient le feu
                     à vos entrailles... Mais notre histoire
                                                  commence bien par cette plage.


Ivar Ch'Vavar, 2011


Six filles, six garçons sur un grand pan de la planète: Berck, et en un temps exorbité: le début des années 1970. Ils viennent et ils vont. - Ils viennent et le lecteur les regarde passer. (extrait de la 4° de couverture)
           
             



dimanche 29 juillet 2012

Comédiens qui font le théâtre...


Faire le théâtre tous les jours à Avignon


Ce qui fait le théâtre.
Est-ce qu’on sait justement ce qui fait le théâtre, qui n’est ni le lieu, ni seulement un texte, ni une mise en scène, mais peut-être un comédien qui tout à coup emporte loin ceux qui l’écoutent et le regardent ?
Il ne s’agit pas de faire théâtre, comme on ferait risette ou dînette, tel qu'on l’entend dans la langue de maintenant qui dit faire société, sorte de tic de langage  cachant mal le peu de pensée sous la formulation renvoyant à un conformisme idéologique consternant.
Navrante utilisation que l’on peut lire au mur, sur la place du Palais des Papes.
Hier j’ai vu deux pièces où le théâtre se faisait.
J’en avais vu d’autres où rien n’arrivait de ce qui fait le théâtre.
Mais là, j’ai un peu mieux compris ce qui pour moi fait le théâtre.
Dans l’une, à aucun moment le texte n’habitait le lieu, mais la comédienne[1], magnifique, donnait à voir cet exercice singulier que représente le théâtre quand il est là, sous nos yeux, exercice sacré qui libère du temps et de l’espace et nous accorde le temps d’une représentation une liberté vivante.
Dans l’autre, la beauté du texte enchantait le lieu, mais c’était encore une fois les comédiens[2] qui faisaient le théâtre et si je lis le texte seul, je retrouve sa beauté, mais pas ce qui a fait hier soir pour moi le théâtre.

Ces étranges communautés éphémères que sont les publics d’Avignon pendant le festival se rejoignent le temps d’applaudissements et d’émotions partagés. Le théâtre reste étrange et mystérieux, même (et peut-être encore davantage) aujourd’hui. Sa nécessité éclate en plein milieu de la ville.
Certes peu de spectacles font le théâtre à Avignon, pendant le Festival. Ici on croise des publics variés et parfois quelque chose se produit qui rompt avec les convenances et les rituels bien rôdés.
Alors s’éloigne l’ennui.

On revoit avec plaisir le musicien chanteur (japonais, népalais ?) pour la même raison car lui aussi fait vivre quelque chose de vivant et d’unique au milieu des gens venus le samedi soir en ville.
Lui aussi donne par sa singularité vie au théâtre qui passe par la voix et le corps, et par sa fragilité même, il nous donne la force de continuer à braver tous les jours le réel. Il a beau être frêle et isolé face aux gens qui déambulent devant lui, il poursuit avec obstination son chant contre la mort et l’ennui.
On reconnaît chez certains qui le regardent de la reconnaissance, comme dans le public de la Cour certains soirs ou dans les petits théâtres de la ville.

A côté, un peu partout, fourmillent banalités et mauvais théâtre, mais peu importe si nous apercevons un peu de ces comédiens qui, avec constance, font exister le théâtre.

Alors nous pouvons nous remettre en chemin.
SD



[1] Giana Canova
[2] Les comédiens qui jouaient dans La Mouette et surtout Marie-Sophie Ferdane

samedi 28 juillet 2012

Trois Poèmes( Messiaen, Bartok, Debussy) de Lucetta Frisa, issus de son dernie rrecueil, L'emozione dell'aria


Abîme des oiseaux

(Olivier Messiaen)

depuis la prison
      on regarde voler les oiseaux –
la pièce
scellée
ne s’ouvre pas
dans une partie de l’esprit
d’autres lois ou aucune
d’autres terres sans eau ni oxygène
parmi les nébuleuses –
est-ce là l’abîme des oiseaux ?
cette nuit
dans le ciel tiède
les étoiles
ressemblent à des mouches engourdies
ou à des oiseaux prêts à chanter
dans une autre cage
On chante dans le lager mais personne ne vole
et ici un voile de notes
nous éloigne de l’horreur et nous
               nos doigts s’ouvriront
pour dessiner l’ombre des ailes
sur les tombes
parce que les oiseaux seuls
                           la voient






For children

(Bela Bartok)

Mon idéal serait de mûrir en allant vers l’enfance.
Bruno Schulz

la chambre dans le noir se colore.
les notes ce sont des ballons ?
chuchotant entre lustre et plafond
ils s’arrêtent au seuil de la maison

la mer recouvre le carrelage
et monte nous caresser le cou
donne-moi la main et entrons
dans l’eau
sans souliers
comme dans un temple

    un matin au marché on avait attaché des ballons à un arbre
   prêts à s’envoler au plus haut
   il en demanda un mais impossible de le détacher
   enfin en voilà un entre ses mains, rouge :
   il se dégonfla tout de suite.

donne-moi le couteau
tout va à blessure et morsure
        c’est comme ça qu’on grandit


  il pose doucement le doigt sur une touche du pianoforte et l’univers explose
- il était bouffi et invisible ? Abracadabra abracadabra
  gorge oreilles yeux touchés s’ouvrent tout grands

abracadabra
si tu pouvais
répéter ce son
et la stupeur

mais ce soir
jouons à la balle sur les vagues
dans cette chambre sur la mer
                     volons au plus haut

si tu pouvais
poser encore ton doigt sur le clavier
répéter ce son et la stupeur

abracadabra
abracadabra
donne-moi l’aiguille
donne-moi le fil et les ciseaux
je veux coudre
recoudre
              découdre le monde







La mer

(Claude Debussy)

Les rencontres humaines se font au plus haut a dit Lucrèce
tout s’engendre entre les masses puissantes des nuages
faim et désir origine et fin des histoires et des étoiles.
La tramontane sur l’eau est frémissement mais sur la peau
c’est une ride, je le dis, et toi sur ton miniclavier tu simules
la colère marine en cette nuit encore estivale mais pardon
si moi je pense seulement à la noire tramontane :
jamais mettre à la mer disent les pêcheurs les barques
chavirent les poissons vont au fond le brouillard s’épaissit
les pieds perdent leur chemin aucun vieux marin ne revient
pour raconter on ne réussit plus à s’endormir entre
les couvertures même les rêves s’enfuient et le chien
vieillit d’un coup.
Est-ce bien la tramontane noire, ce vent enfermé chez nous ?
Comme tu es fort – dis-je - et je t’applaudis bravo bravo



Traduction Sylvie Durbec, L'emozione dell'aria, CFR edizioni, 2012

mercredi 25 juillet 2012

Louis Soutter et les mots/Musée Fenaille de Rodez

Je voudrais écrire.
Je ne peux que recopier ici un poème de Louis Soutter.
Ecrire et recouvrir d'encre le poème.
Apprendre par coeur celui écrit par Herman Hesse pour l'exposition de 1962 à Genève.
Lier l'encre et le papier.
Dire à la fois la dette et le don.
De la plume au doigt: l'encre toujours.
Dessin sur cahier, exposition LS à Rodez juillet 2012
Louis Soutter dans une de ses lettres adressées à son cousin, Le Corbusier, utilise le mot âme,
mais aussi le mot maison
auquel il adjoint le mot minimum. Auquel j’ajoute le mot PAIN que nous déposons sur la TABLE pour faire MAISON, le pain et le feu, maison sans fenêtre, précise l’artiste, et la maison se tient en équilibre, debout, en compagnie de celui qui mange peu
et de celle,
face au feu,
qui dévore le pain.




Et ce poème comme si on avait recensé  tous les mots tracés par L.S. sur ses dessins au recto comme au verso:


Deux âmes sont

à la lune au

verger joli
Le vert semble sombrer
sous la face pâle
du noir, un tremblement
Des nervures sillonne(nt)
toute la terre



Poème trouvé sur le catalogue publié aux éditions Actes Sud en 1987 à l'occasion de l'exposition Louis Soutter à Marseille au Musée Cantini.

samedi 21 juillet 2012

Iles, encore, Roger Grenier toujours



"Fleurs qui flottez sur la mer et qu'on aperçoit au moment où on y pense le moins, algues, cadavres, mouettes endormies, vous que l'on fend de l'étrave, ah, mes îles fortunées! Surprises du matin, espérances du soir - vous reverrai-je encore quelques fois? Vous seules qui me délivrez de moi et en qui je puisse me reconnaître. miroirs sans tain, cieux sans lumière, amours sans objet..."

Les îles fortunées, Roger Grenier, Gallimard, 1959

jeudi 19 juillet 2012

une femme s'appuie sur du bleu

si la femme s'appuie
sur un morceau de ciel
n'est-ce pas parce que
lassée de soutenir la terre
elle essaie d'alléger
la ronde des jours
la ronde des nuits
et la voilà debout encore
à nous regarder en face


texte SD, dessin Régine Chiesa (détail)

mardi 17 juillet 2012

Jardiner dans le noir, Denis Hirson, au temps qu'il fait

Sais-tu ce qui dure toujours?
pour Anna

Sais-tu ce qui dure toujours?
Ma fille me parle,
douze ans et bien réveillée, 
du fond de son lit.

J'essaie de me concentrer.
Le diamant, l'amour?
Pense-t-elle l'amour éternel?
Et pourquoi cette question

à l'heure qu'il est, la poitrine contactée 
à craquer, le souffle un sanglot (comme elle dit),
et le coeur sec,
je carbure à la volonté depuis des semaines

mais je n'en ai plus dans le sang.
Le diamant, dis-je, l'esprit distrait
par la nuit qui vient
et la pression du lendemain.

Dehors le tonnerre, un orage d'automne
écrase Paris d'une lourdeur tropicale.
Non, répond-elle doucement,
ce n'est pas le diamant. Il s'use, tu sais.

Maintenant j'écoute très attentivement.
La pluie bat contre sa chambre obscure;
j'ai besoin de savoir 
ce qui dure toujours.

C'est l'eau, me confie-t-elle.
D'un baiser je lui souhaite bonne nuit.
Puis je sors. A la porte
je prends la lumière de plein fouet.

traduction de Katia Walliski et l'auteur.

Dans la suite des jours, le couteau, Michaël Glück, quelques extraits...

IPHIGENIE

complainte d'Oreste

Iphigénie ma soeur
de ton corps dépecé
ont-ils fait une voile
ont-ils vidé cette outre

des poumons si légers
ont-ils laissés le vent
souffler dans les haubans
navire ô beau navire

petite fille ô soeur
n'a plus de jambes
quel bruit fait le couteau
qui te tranche la gorge


ISMAËL

enfant rieur
enfant railleur

qui change une voyelle
décide de l'exil


(...)

ISAAC

1
ton couteau
tu l'aiguises
sur la pierre de Caïn

tu n'entends pas
ce qui est dit
tu ne l'entends pas

tu entends
ce que tu connais

(...)

15
(...)
quel père es-tu
qui n'a pas su écouter l'appel
à l'insoumission?

Dans la suite des jours, Le couteau, L'Amourier éditeur

mardi 10 juillet 2012

Marsiho, André Suarès, un grand texte servi par un magnifique acteur, Philippe Caubère au Théâtre des Carmes à Avignon

"Par un matin de pierre dure, au temps de Pâques, entre avril et mars, si tu peux rester debout sur le balcon de Notre-Dame-de-la-Garde, quand souffle le mistral et que l’équinoxe joue à la balle avec les bateaux sur la mer, tu fais, sans quitter le roc, la traversée de la tempête la plus sèche qui soit au monde. Regarde Marseille sortir du sommeil, secouer la première paresse qui suit le réveil, et se ruer à la vie de nouveau. Tiens-toi ferme à la rampe. Tu es sur le pont du plus haut bord entre tous les navires; tu n’as peut-être pas ton bon sens si tu te crois à l’ancre. le ciel craque. La grande haleine éparpille le soleil en poudre d’or; elle vibre; jamais elle n’est tarie, jamais elle ne retombe; elle se tisse elle-même en rayons qui dansent. Et les trombes blanches de la poussière se poursuivent dans les rues et les chemins, comme si la terre secouait sa farine. L’air blanc est de pierre; de pierre blanche, la ville. Au loin, les Accoules en pierre rose ont un air de laurier en fleurs; et tout est pris dans l’étau de la mâchoire en pierre bleue du ciel et de la mer."




Marsiho, André Suarès, Jeanne Lafitte éditeur

dimanche 8 juillet 2012

Le Muet, Béatrix Beck

"Warren regardait en souriant l'urine de Jeremy tomber dans notre café au lait. Humphrey, d'habitude si intimidé par le patron, rougit de colère et alla vider son pichet dans l'arrière-cuisine. Jeremy, laid, vieux et asthmatique, avait passé cette nuit-là, comme toutes les autres, avec son jeune maître. A sept heures, Humphrey tambourinait du poing contre la porte qui le séparait de Mr Warren Deirdree, jusqu'à ce que celui-ci enfin victorieux du sommeil, eût remercié de sa voix bien timbrée. le valet de ferme quittait en hâte sa chambre pour permettre à son employeur de la traverser sans que ni l'un ni l'autre en fussent gênés. Le barbon faisait la grasse matinée dans le lit d'Antinoüs, où il satisfaisait ses besoins naturels. Le liquide jaune, dont on enseigne en classe qu'il a une saveur acidulée, traversait matelas, sommier, plancher, plafond, et arrosait notre table de bouillie d'avoine, de flocons de blé, de tortillons d'orge flottant sur des mares de lait et fourrés d'oranges amères.
  Une des jambes du pantalon de velours côtelé de Warren, décousue du genou à la cheville, laissait voir le long fuseau d'un muscle, tendant une peau couleur d'ambre, au grain serré. Tout en mangeant, le garçon lisait des sonnets de Shakespeare. Des brindilles de foin parsemaient sa tignasse châtaine. Pour qu'il emplisse à nouveau sa chope de grès, il levait sans dire mot des yeux d'un bleu non tout à fait céleste, mais plutôt marin.
(...)"
Incipit du Muet, éditions Gallimard, 1963
collage SD